samedi 9 février 2019

Cap vers le Cap-Vert


Après un bref carnet de photos des Canaries publié ici, il est temps de revenir au présent et d'officiellement lancer l'acte III de l'Austrasian-trip !


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Tout juste débarqués sur le tarmac du petit aéroport de Césaria-Évora, le premier contact est pour le moins dépaysant.
Il y a certes la différence thermique, cet agréable air à 30°C contrastant avec l'hiver français d'où nous arrivons. Mais il y a aussi et surtout ces montagnes saillantes et rocailleuses se dressant de toute part. Tout est sec, pas un pourcent d'humidité dans l'air, pas de végétation. 0,6g en moins et l'on pourrait se croire arrivés sur Mars.

Pour la seconde fois après les îles Canaries, j'arrive ici les mains dans les poches, étant passés par une petite agence locale afin d'organiser notre trek. Au programme, nuitées chez l'habitant, orientation à la carte et quelques kilomètres verticaux à gravir. C'est assez agréable de se laisser surprendre au fil du voyage. Aucun spoil quant aux types de paysages que nous allons parcourir, la nourriture que nous allons goûter ou encore la nature de nos échanges avec les locaux.

Une fois la petite ville de Mindolo traversée en taxi, puis le bras de mer nous séparant de l'île voisine de Santo Antao enjambé à l'aide d'un ferry, nous nous faisons déposer un peu au milieu de nulle part au départ d'un chemin se séparant de la route principale. C'est parti pour 10 jours de marche !


Premier contact avec l'environnement cap-verdien

Au milieu de ces terres arides qu'un soleil brûlant surplombe en permanence, on se sent bien petit face à la nature. Seule notre poche d'eau et notre carte surlignée de son itinéraire nous donnent une probabilité confortable de finir la journée en vie.

Les arbres sont aussi rare qu'un reportage journalistique de bonne qualité sur BFMTV. Malgré tout, quelques plantes éparses parviennent à braver ces difficiles conditions. Il s'y développe une faune bien contente de pouvoir profiter de quelques centimètres carrés ombragés. L'être humain, lui aussi, a déployé tout son savoir faire pour arriver à s'installer ici. L'unique source de la région, précieux sésame crachant ses molécules d'H2O en permanence, a été ingénieusement mise à profit de tous via un système d'irrigation parcourant la vallée sur des kilomètres. Aqueducs, tunnels et tuyaux en tout genre se relaient pour former une artère de vie autour de laquelle se greffent cultures, élevages et habitations tout au long de son sinueux parcours.



Passage du premier col

Pas trop d'embouteillages sur le chemin

Au premier plan, le fameux canal d'irrigation, donnant ici à des bananiers une chance de survivre au climat désertique

C'est au sein d'un petit amas d'habitations perdu au milieu de nulle part que nous passerons la nuit, bien installés dans la maison d'Isulina. Ce sera l'occasion de découvrir le train de vie local ainsi que leur quotidien.

Cultures de patates douce, de manioc et de bananes constituent la base du régime alimentaire. S'y ajoutent l'élevage de cochons et de chèvres, ainsi qu'une ou deux mules comme moyen de transport, seul moyen de locomotion sur ces petits chemins pavés serpentant la montagne. Le surplus est vendu en ville, leur permettant d'acheter les denrées qu'ils ne peuvent produire eux-mêmes. Un style de vie simple, axé autour de familles très solidaire. Solidarité entre voisins également, se mettre en commun pour construire un système d'irrigation ou un chemin muletier étant une question de survie.

Beaucoup de temps libre, les travaux au champ étant effectués tôt le matin, quand le soleil dort encore. Beaucoup d'ennui aussi peut-être ? Les divertissements ne courent pas les rues. Sont-ils plus heureux que nous, dans nos sociétés matérialistes et individualistes, mais au sein desquelles les divertissements sont très (trop) présent ? Je n'ai pas la réponse. Alors que toutes ces pensées traversent mon esprit, je regrette un peu de ne pas avoir choisi portugais au lieu d'italien lorsque j'ai renouvelé mon abonnement Babbel.


Seconde journée de marche, au milieu d'un décor toujours aussi majestueux

Nous reprenons la route, toujours sous un écrasant soleil de plomb. Soleil d'autant plus écrasant que notre stock d'eau fond comme neige au soleil... En effet, ma carte bleue n'ayant pas vaincu les distributeurs automatiques cap-verdiens lorsque nous étions en ville, nous nous retrouvons avec un maigre patrimoine financier de 1200 escudos. Sachant que l'eau est environ 10 à 15x plus chère qu'en France (ce qui n'est pas surprenant vu sa rareté et la difficulté logistique de la transporter à dos de mule jusqu'aux villages que nous traversons), il nous reste de quoi acheter une dizaine de bouteilles.


L'océan tout proche et son immense étendue d'eau salée de nous sera pas d'un grand secours.

Le seul match Tinder dans un rayon de 40km

Si les distances à vol d'oiseau paraissent raisonnables, il en va autrement lorsqu'il s'agit de les parcourir, crapahutant de vallée en vallée, franchissant sans cesse des cols tous plus raides les uns que les autres

Au passage d'un de ces cols justement, rencontre avec une espèce rare, j'ai nommé le touriste. Pour la première fois depuis notre départ, nous rencontrerons en effet un petit groupe d'étrangers, vadrouillant tout comme nous l'île de Santo Antao. La conversation que nous aurons ressemblera à peu de choses près à ceci :

- Bom dia !
- Bonjour.
- Ah bonjour, vous êtes français !
- En effet.
- EH MEC T'AS PAS DES ESCUDOS À CHANGER CONTRE DES EUROS ON VEUT PAS MOURIR DE SOIF STPPPPPP
- Volontiers

Ici, le but du jeu est simple : ne pas se faire prendre en sandwich entre les vagues et la falaise


À mi-séjour, drastique retournement de situation : la verdure s'invite ! La végétation passera en effet brusquement de quasi inexistante à omniprésente. La faute au changement de versant opéré en ce jour 4, qui nous exposera aux vents océaniques nous abreuvant de leur humidité.

Le dénivelé positif, cet être sournois tétanisant vos mollets de vilaines courbatures, se fera lui aussi de plus en plus présent. Première journée au-dessus du seuil psychologique du kilomètre vertical à gravir.
Cet effort physique croissant sera récompensé à sa juste valeur par une qualité des chambres d'hôtes elle aussi sur une pente ascendante, exit le matelas marshmallow et la douche glaciale, ce soir on se paie le luxe indécent de dormir dans un vrai lit après une bonne douche chaude !


La végétation change, les cultures aussi. Plantations de café, papayers, goyaviers, manguiers, ou comme sur cette photo canne à sucre, remplacent le manioc et patates douce des vallées plus sèches.

Cela se ressentira également dans les mets que nous mangerons. Ces derniers sont en effet très locaux, les ingrédients de base provenant la majorité du temps d'un rayon de quelques kilomètres. Cela nous emmènera à déguster du poisson frais dans des villages côtiers de pêcheurs, de la confiture du fruit de l'arbre cultivé dans le vallon même, etc...

Le jour suivant, nous persistons dans l'extravagance et marchons au milieu de paysages quasi alpins au fur et à mesure que nous nous élevons. Le moindre recoin, la moindre faille de rocher est prise d'assaut par la végétation.


Mais quelle est donc cette couleur verte ?!

On se paie même le luxe de sortir la veste

Quelques marches finales à affronter avant d'arriver à notre hébergement du jour

Les oiseaux chantent, l'air est frais, le ciel grisonnant. Nous ne sommes qu'à une quinzaine de kilomètres à vol d'oiseau des vallées arides de nos premiers jours sur l'île, et cela apparait déjà comme un lointain souvenir.

Franchissement du col numéro 3848

Vue du Pico da Cruz, perché à 1585m au-dessus des nuages

Coucher de soleil venté observé depuis notre hébergement du jour

Une fois les journées de marche terminées, il est vrai que le temps s'écoule lentement, trop lentement parfois. Mais c'est une situation intéressante à vivre, car ces moments là n'existent plus dans nos vies. Nos quotidiens sont envahis de notifications, de rendez-vous et autres contraintes temporelles ne laissant plus aucune place à l'ennui. Sans wifi, sans notification, sans emploi du temps, sans aucun divertissement accessible, notre pauvre petit cerveau est forcé à puiser au fond de ses entrailles de la créativité. Ces moments d'introspection, de méditation presque, sont à vrai dire le bienvenue, je sentais depuis un petit bout de temps que j'avais bien besoin d'appuyer sur le bouton "reset".

Certains payent une fortune des séjours en camps de détox au téléphone portable et autres appareils numériques, nous avons un budget bien plus modeste, nous nous contenterons ma foi d'un voyage au Cap-Vert !


Après 8 jours de randonnée, premier transfert motorisé pour Tarrafal, surnommé le village du bout du monde

Après 2 jours à se reposer au bord de l'océan (allez, une petite dernière promenade de 3h, on a pas pu résister !), départ matinal sous un magnifique ciel étoilé

L'aluguer - comprendre taxi collectif - étant complet à l'intérieur, c'est confortablement installé à l'arrière que nous effectuerons le trajet. Non j'déconne, banc en bois, chauffeur qui roule à tombeau ouvert sur une route pavée défoncée, franchissement d'un col à 2000m à 5h du matin à la fraîche rendront ce trajet de 2h assez épique !

Les premières lueurs du soleil seront tout autant appréciés pour illuminer ce majestueux paysage que pour réchauffer nos petits corps frigorifiés


Il sera déjà temps de retourner affronter l'hiver européen. Nous repartons du Cap-Vert en ayant vu une incroyable diversité de paysages, de climats et de styles de vie dans une île d'une vingtaine de kilomètres de diamètre.

Ma seule légère déception proviendra de l'hébergement chez l'habitant, qui un peu à la manière de ce que j'avais vécu à Cuba, était un peu plus froid et professionnel que les chaleureux repas partagés autour de la même table que je m'étais imaginé. Certes, c'est en parti ma faute, mon portugais étant extrêmement limité, il n'empêche que j'aurais aimé pouvoir plus échanger. Je garderai en souvenir notre passage chez Isulina, où nous avons pu réellement partager leur quotidien, nourrir les cochons et laborieusement communiquer en langue des signes.



2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Ah ! Enfin le retour de notre chroniqueur préféré ! Merci pour le voyage, j'en ai mal au mollet mais plein les yeux...

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