vendredi 30 septembre 2016

Sans-papiers à Cuba


Après près de 8 mois de routine poker/piscine/dodo, c'est assez excités et assoiffés d'aventures que nous débarquerons à l'aéroport de la Havane. Le temps de rapidement récupérer notre Geely, et nous serons bien rapidement en route. Sous ce nom en apparence exotique se cache en réalité une voiture chinoise, grossière imitation d'une Mercedes, mais sans le style, sans les finitions, sans la tenue de route, sans un coffre qui ferme, et sans un volant qui te reste dans les mains si tu as le malheur de le manoeuvrer un peu trop brusquement.

Ce petit bolide aura toutefois l'avantage de nous permettre de traverser l'île de part en part en nous évitant de faire une boucle, ce qui s'avèrera un gain de temps non négligeable étant donné l'état du réseau routier cubain.

La première étape de notre parcours se prénommera Las Terrazas, un charmant village (plus une communauté à vrai dire) logé au bord d'un lac bordé d'une dense réserve de végétation sauvage. L'endroit parfait pour partir en excursion en solitaire histoire de se dégourdir les jambes.

Dans mon éternel optimisme, je partirai avec une carte ayant l'air d'avoir été dessinée par un enfant de 4 ans ainsi que de vagues indications, pour bien évidemment me retrouver plus ou moins perdu au bout de quelques intersections. J'arriverai néanmoins à l'aide de la boussole de mon téléphone ainsi qu'à un fermier rencontré en chemin à atteindre le point de vue recherché.



C'est tout droit !


Après quelques heures de marche supplémentaires, je rallierai le point de rendez-vous convenu avec Yann et Tristan. Fort heureusement d'ailleurs, car il est utopique de compter sur la couverture réseau à Cuba dès que l'on sort d'une grosse agglomération. Je ne parlerai même pas d'internet, ce mot ayant une signification inconnue ici.


Las Terrazas centre-ville, où nous arriverons à nous retrouver


Nous nous mettrons ensuite en quête d'une casa particular pour la nuit. La casa particular à Cuba, c'est un peu l'Airbnb local. Un hôte propriétaire de sa maison loue une ou plusieurs de ses chambres à la nuitée, et propose généralement en supplément repas ou petit-déjeuner chez lui.

Je m'attendais à profiter de ce concept prometteur ainsi que de mon espagnol désormais d'un niveau acceptable pour partager avec l'habitant de longues conversations à propos des multiples différences culturelles entre Cuba et le reste du monde. Malheureusement, l'expérience se révèlera plus proche d'un séjour en hôtel, avec des hôtes très professionnels et serviables, mais difficilement accessible à la conversation. Cela me fera étrangement penser au phénomène Airbnb en France, qui s'éloigne de plus en plus du concept original de bed and breakfast chez l'habitant pour se professionnaliser via des propriétaires construisant des chambres à la chaine afin d'en tirer un revenu leur permettant d'en vivre. Cela aura au moins l'avantage pour nous d'être beaucoup moins onéreux que l'hôtel, et nous adopterons ce mode d'hébergement pour le reste de notre séjour.



À défaut de socialiser avec mon hôte, je socialiserai avec ce tout mignon bébé scorpion présent au-dessus de mon lit

Direction ensuite la magnifique vallée de Viñales afin de rester dans le thème nature et beaux paysages. Histoire de reposer un peu nos jambes, nous opterons pour le cheval. Ou plutôt le Chabal, avec la prononciation de notre guide blablatant quelques mots de français.


A goch', Tristan. A d'loite, Yann.

Au vue de la superficie de la vallée, cela sera rétrospectivement un bon choix de mode de transport. Nous pourrons ainsi enchaîner dans la même journée visite de fabrique de tabac et de cigares cubains, grotte ainsi que diverses petites marches, le tout pour terminer la journée avec de belles courbatures aux cuisses pour ma première expérience équestre.


Vallée de Viñales

Nous retournerons ensuite sur nos pas afin de retrouver Stéphane, un autre grinder rencontré en Thaïlande, que nous irons récupérer à l'aéroport de la Havane.

C'est donc à quatre que nous découvrirons l'architecture de la mondialement fameuse La Havane. Si cet aspect-ci de la ville ainsi que la visite de musées détaillant l'histoire cubaine sera une bonne expérience, je ne pourrais pas vraiment en dire de même quant à sa vie nocturne. Peut-être parce que je ne sais pas danser un pas de salsa, peut-être parce que nous n'avons pas été dans les bons quartiers et que je n'ai pas retrouvé l'ambiance que je m'étais projeté, peut être mon côté allergique aux grandes villes qui me fait pousser des boutons dès qu'il y a plus d'habitants que d'arbres autour de moi. Toujours est-il que comme bien souvent, sortir de l'étouffante la Havane se révèlera salvateur.


La Havane

Une voiture typique

Une rue typique


Histoire de nous remettre de cette étape urbaine, nous nous prélasserons quelques jours dans les environs de Playa Larga. Au programme : plongée, billard au bord de la plage et exploration des alentours. Rien de mieux pour ce faire qu'une casa particular les pieds dans l'eau !



Environs de Playa Larga

Vue depuis la terrasse de notre casa particular, le bon spot de billard

Peinards dans notre jardin

Plus au sud, la petite ville de Trinidad

Vue depuis le clocher de Trinidad

Des maisons colorées, une rue pavée, une voiture des années 50... Cuba résumé en une photo !

Le dernier acte de notre séjour se déroulera dans le "Cuba profond", la partie sud-est de l'île. Cette dernière est bien moins développée et bien plus rurale, plus authentique aussi peut être, que le reste du pays. Une grande majorité de touristes ne prennent en effet pas la peine de descendre si bas, se contentant de rester aux alentours de La Havane.

Arrivés au bout d'une route au fin fond d'une vallée reculée, où nous passerons la nuit, j'apprendrai qu'une ascension du Pico Turquino, plus haut sommet de Cuba malgré ses petits 1974m, est possible. Mes potes n'étant pas motivés, j'arriverai à organiser un aller simple traversant la chaine de montagnes et redescendant de l'autre côté, pendant qu'eux feront le tour de la péninsule par la côte en voiture.

Rendez-vous est donc prit dans deux jours, dans un petit village, à 30km de marche pour moi, 150km de voiture pour eux. Je leur laisse toutes mes affaires, mon argent hormis 5 CUC (environ 4.50€), mon passeport. J'embarquerai tout de même mon téléphone portable afin de nous joindre en cas de pépin. Un plan parfait. Aucun accroc possible. 0 variance, en jargon pokéristique.


Je rejoindrai mon guide ainsi que mon petit groupe le lendemain matin. Presque sans surprise je me retrouverai avec 3 français, comme bien souvent dès que l'on mixe randonnées et lieux reculés. Plus surprenant, une cubaine complètera notre groupe, je serai à vrai dire assez étonné. Cette dernière a quitté son métier de prof pour louer des chambres aux touristes via sa casa particular. Il faut dire qu'à 10$ le salaire minimum mensuel (environ le double pour un ingénieur), louer une chambre à 25$ la nuit parait effectivement l'eldorado, même taxé à 50% par le gouvernement.

Elle me racontera lors de nos longues heures de marche qu'effectivement, il y a un fossé entre les métiers liés au tourisme et le reste. Un simple pourboire de 50 centimes peut doubler la journée de salaire d'un réceptionniste d'hôtel.

Ce phénomène est principalement dû au fait que deux monnaies sont émises à Cuba :
- le CUP, ou peso national, est la monnaie locale, non convertible en devise étrangère. Elle est utilisée par les locaux, qui reçoivent leur salaire en CUP, s'en servent pour leurs dépenses courantes, achat d'électroménager, etc...
- le CUC, ou peso cubain convertible, est lui convertible en devises étrangères et est donc la monnaie utilisée par les visiteurs étrangers dans les restaurants, hôtels et autres établissements touristiques

Et c'est ainsi qu'en se rémunérant en CUC ainsi qu'en pourboires, un taxi se retrouve à gagner plus d'argent qu'un médecin !

Pendant que nous continuerons à digresser sur divers sujets, le Pico Turquino se rapprochera de plus en plus

Après une nuit passée au camp intermédiaire, la team franco-cubaine au sommet !


Mes camarades me quitteront ici, je redescendrai en effet de l'autre côté avec un nouveau guide qui nous a rejoint au sommet. Pas besoin de téléphone pour être bien organisé !


Vue de l'autre versant, il n'y a plus qu'à rejoindre la plage !


Après une descende rapidement effectuée en à peine plus de 3 heures, j'arriverai au point de rendez-vous une petite heure d'avance sur l'horaire convenu avec les autres. J'en profiterai pour sagement investir le peu de monnaie que je détiens dans une bière bien méritée ainsi qu'un peu de riz.

J'attendrai donc ainsi une heure, deux heures, quatre heures... N'ayant point de réseau dans ce village devant compter tout au plus une cinquantaine d'âmes, je demanderai alors au gardien de l'espèce de hutte marquant l'entrée du parc national où se trouve la zone de couverture la plus proche. Si l'espoir m'envahira lorsqu'il pointera son doigt en direction de la côte, ce sera la douche froide lorsqu'il me lâchera nonchalamment un "oh, à environ une soixantaine de kilomètres dans cette direction".

Pas découragé pour autant, je me mettrai alors en quête d'un téléphone fixe. Une mission pas si difficile, penserai-je naïvement.

Devant l'échec de ma séance de porte à porte, aucun villageois n'ayant de téléphone, je finirai par suivre les dires des gens qui m'emmèneront dans une maison reculée au bout d'un chemin perdu. À l'intérieur de cette dernière trône un téléphone datant du siècle dernier. La conversation avec la vielle dame s'y trouvant ressemblera à quelque chose du type :

- Tu souhaites appeler un téléphone fixe à Cuba ?
- Presque, c'est un portable étranger.
- Bonne journée, au revoir !

De retour à mon point initial, je prendrai alors conscience que cela fait près de six heures que je les attends, et que le nombre de véhicules aperçus sur la seule et unique route traversant le village se monte au chiffre astronomique de... 0

Ce sera donc avec un énorme soulagement que vers 20h, près de huit heures après l'heure de rendez-vous fixé, j'apercevrais enfin deux phares illuminer l'horizon ! Le temps de rassembler mes affaires à toute hâte et je dévalerai l'escalier rejoignant la route afin de les intercepter. Deuxième douche froide lorsque je me rendrai compte qu'il s'agit d'un camion, qui ne doit pas venir de beaucoup plus loin que le village voisin au vu de son état.

À partir de ce moment, je réduirai le champ de possibilité à deux hypothèses :

- Ils sont tous morts ou dans le coma à l'hôpital après un accident.
- Ils ont eu un léger accident ou un problème mécanique et sont bloqués quelque part sans pouvoir me contacter.


Mon côté optimiste, ainsi que ma rationalité couplé à la Geely que je sais être dans leurs mains,  me feront heureusement pencher pour la seconde option.

Le gardien me proposera un peu à reculons de passer la nuit dans une espèce d'arrière salle de sa petite construction, un taudis suffocant comprenant un matelas aux odeurs bizarres situé dans la même pièce que des toilettes bouchées sans eau courante.

C'est dans ce cadre idyllique que je passerai ce que je peux assez sereinement qualifier de pire nuit de ma vie. Imaginez-vous le dilemme : 30°C, une humidité dans l'air proche des 100%, et clou du spectacle, une bonne centaine de moustiques dans la pièce. Vous avez deux options :

- Remonter le drap jusqu'au cou, afin que les moustiques soient seulement limités à vous piquer au visage et arroser vos oreilles de la douce mélodie de leur ballet. Inconvénient : intenable physiquement après 10 minutes à transpirer à grosses gouttes comme dans un sauna.
- Se découvrir. Inconvénient : intenable psychologiquement après 10 minutes à se faire piquer par une armée de moustiques se ravitaillant tel une armada de Canadairs dans une oasis au milieu du désert.

Après quelques heures d'alternance de ces deux méthodes afin de profiter de tous les inconvénients, je finirai par attendre dehors une bonne partie de la nuit, avant de finalement trouver quelques heures de sommeil lorsque le soleil levant chassera les moustiques.



Cette jolie vue deviendra vite un enfer au bout de dizaines d'heures à fixer l'horizon, espérant désespérément voir arriver un véhicule


Le lendemain matin, il sera temps d'établir un plan B. Le cap des 24h sera dur à encaisser psychologiquement. Ça parait peu 24h lorsque l'on est assis devant un écran dans sa routine quotidienne. Je m'en rends compte à l'heure où j'écris ces lignes. Mais quand on se retrouve à l'autre bout du monde, sans-papiers, sans argent, sans personne avec qui pouvoir parler sa langue, sans Internet pour nous aider à prendre nos décisions, c'est long.

Le plan B, quelque peu bancal il faut bien l'avouer, consiste à tenter de rallier la civilisation en marchant, en faisant du stop, du cheval, carjacking ou tout autre moyen me permettant d'avancer. Et même là, je serai encore à près de 1000km de l'ambassade française la plus proche.

Alors que je serai en train de tenter tant bien que mal de laver ma lessive, commençant mine de rien à sentir le renfermé après 3 jours et 30km de marche à transpirer... Le gardien accourra vers moi d'un air tout excité : une voiture avec des gringos ! (l'évènement de l'année dirait-on). Et cette voiture, c'est... UNE GEELY ! I <3 GEELY !

Sacré sensation de délivrance de les voir débarquer et de retrouver par la même occasion mon passeport. Leur dispense se présentera sous la forme d'une double crevaison, dispense acceptée. D'autant que les anecdotes qu'ils auront vécus de leur côté vaudront leur pesant de cacahuète, nous aurons de quoi nous rappeler de cette galère se terminant bien un bon bout de temps.



L'interrupteur de mon palace, pas vraiment aux normes CE. Essayer de l'allumer en pleine nuit, c'est encore plus rigolo que la roulette russe !

Les ponts non plus ne respectent pas des normes de sécurités trop sévère. On serre à gauche, on serre les fesses, et on passe !

Mon premier repas depuis pas loin de 48h, mes potes... La fin du calvaire !


Malgré le temps perdu, nous filerons jusqu'à la pointe est, la zone où se trouve la baie de Guantanamo. Chose assez folle, cette partie de l'île n'avait aucune connexion terrestre jusqu'au milieu du siècle dernier, seule la voie maritime permettait de la rallier. Le fait que la route la plus récente date d'environ 60 ans fait que la nourriture, l'architecture, bref un peu tout est différent, une sorte de pays dans le pays. 

Peut être une conséquence de cet éloignement, nous aurons enfin une discussion un peu plus libérée avec notre hôte du jour. Ce dernier nous fera part des critiques censurées envers le régime en place, bien loin du monde tout beau tout rose décrit par les slogans de propagande présents sur la voie publique. Il nous racontera comment les cubains ont appris à vivre avec le système D, comment le charpentier du coin vole une boite de clous par-ci par-là à son employeur afin d'arrondir ses fins de mois. Ces mêmes clous qui finiront échangés contre une coupe chez le coiffeur voisin ayant besoin de réparer son lit. C'est finalement un tableau assez hypocrite et individualiste, une sorte de compétition non pas pour survivre, car les cubains mangent à leur faim, mais pour améliorer son quotidien au mieux possible. Assez contradictoire finalement pour un pays communiste.


Plage aux alentours de Baracoa

Santiago de Cuba, notre destination finale où nous retournerons notre chère Geely, puis attendrons 48h, correspondant au retard de notre avion. Au moins cette fois-ci je serai dans un lit d'hôtel, tous frais payés par la compagnie.


Se retrouver au centre-ville d'une capitale de plus de deux millions d'habitants sans capter aucun réseau wifi, se faire surprendre par trois blocs de béton posés au milieu de l'autoroute signalant la fin de cette dernière, passer une heure et demie à la recherche d'une bouteille d'eau minérale... Cuba fait partie de ces pays qui dépaysent et ne ressemble à aucun autre. Être privé d'Internet pendant trois semaines était une expérience finalement intéressante, cela change forcément la façon de voyager, point de Tripadvisor ou autre Booking pour guider nos pas.

Le fait d'avoir écrit cet article un an plus tard a aussi embelli ma vision des choses. Il y a eu en effet quelques moments énervants sur le coup, quelques temps morts. Nous n'avons pas vu de choses vraiment extraordinaire ou grandioses. Mais cela restera néanmoins une expérience vraiment intéressante, une sorte d'ouverture d'esprit.

Cuba changera bien vite maintenant que le tourisme s'ouvre aux américains j'imagine, je suis bien content d'y être allé maintenant.

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